samedi 18 septembre 2010

Arkoun, une condamnation post mortem


Il y a quelque chose d’immoral dans le «traitement» réservé par les autorités, à différents niveaux de l’Etat, au décès du grand islamologue et, néanmoins, intellectuel algérien Mohamed Arkoun. Jeudi dernier à Paris, il y avait du beau monde à la levée du corps du défunt. Des diplomates de plusieurs pays arabes et musulmans, notamment du Maroc, de Tunisie, du Qatar et du Koweït, étaient venus saluer la mémoire de l’homme, mais surtout associer, pourquoi pas, le nom de cet illustre savant de l’Islam à leur pays, pour le prestige et pour la postérité. L’Algérie, sa mère patrie, elle, a préféré y aller sur la pointe des pieds pour que les autres ne la voient pas se recueillir sur l’un de ses dignes fils…

Notre vice-consul à Paris a dû afficher profil bas devant le cénacle de diplomates voisins réuni autour du défunt. Il est pour le moins indécent de vouloir faire descendre un personnage aussi flamboyant et charismatique de son piédestal pour le simple fait qu’il n’émarge pas au registre des intellectuels organiques si bien décrits par Gramsci. A la place d’un recueillement, Mohamed Arkoun a eu droit à un reniement des siens, du moins par filiation. Tout le monde connaît la pensée de l’homme, ses idées et ses combats. Il avait divorcé d’avec les régimes d’Algérie depuis l’indépendance. Il avait choisi son camp, celui de ne pas être l’amuseur de la galerie ou le chef de la zaouïa prompt à applaudir au quart de tour les tenants du pouvoir. Mais c’est visiblement d’un crime de lèse-majesté dont il a été rendu coupable sans possibilité de rémission, même après sa mort. Son décès est passé quasiment dans la rubrique officielle de nécrologie.
Du haut de son érudition, Mohamed Arkoun n’a pas les éloges dus à sa carrure intellectuelle. Ce jeudi, on était loin de la mobilisation d’un ministre d’Etat pour aller représenter le président de la République aux funérailles du cheikh de la zaouïa Tidjania, à Adrar, le regretté cheikh Sidy Mahmoud. On était aussi loin des funérailles quasi officielles organisées pour la défunte épouse d’un ex-président à El Alia. Mohamed Arkoun est-il donc un banni pour qu’il soit fui comme la peste ? Pourtant, l’Algérie officielle redouble, précisément, de gestes pour récupérer la mémoire de l’auteur de La Peste, Albert Camus, tout comme elle avait fait pour Saint-Augustin, pour lequel un colloque international avait été organisé sous le patronage du président de la République. Mais Mohamed Arkoun n’est pas le premier à subir ce traitement. Taos Amrouche, la célèbre cantatrice algérienne, n’était pas en odeur de sainteté lors du premier Panaf’ en 1969.
Elle était chrétienne et, facteur aggravant, berbériste. Même le géant Kateb Yacine fut déclaré «impur» pour être enterré en Algérie ! Ces reconnaissances à deux vitesses de l’Algérie officielle à ses meilleurs enfants dans leurs différences posent un grave problème d’éthique et de morale. Peut-on renier son fils quand bien même il serait trop bavard ? Apparemment oui. Et quand on voit, par ailleurs, que d’ex-chefs terroristes sont lavés à l’eau bénite de la réconciliation et reprendre leur respectabilité, on se dit que l’algérianité est devenue un concept flottant.

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